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Résumé thèse de doctorat

novembre 16, 2009

Résumé de thèse

« Contribution aux recherches sur l’origine du transsexualisme : traumas au stade du cocon »

Le genre est un ensemble d’attributs tant physiques que psychologiques qui induit une réalité référentielle d’appartenance sociale au genre masculin ou féminin. Or, il arrive que tous ces signes extérieurs soient en contradiction avec le sexe biologique. On est alors face à un-e transgenre, plus souvent appelé transsexuel-le.

L’objet de cette thèse porte sur la problématique de genre à partir du rapport de trois psychothérapies avec des transsexuels adultes qui révèlent l’inscription du transsexualisme dans un champ post-traumatique et éclaire la sexuation, processus à l’œuvre dans la formation du genre pour tout individu, homme ou femme, transsexuel ou non transsexuel.

La première partie s’attache à revisiter l’histoire et à définir le choix du cadre conceptuel. Dans l’Antiquité (mythopée grecque), métamorphoses et transformations s’opèrent quasi exclusivement du féminin vers le masculin, dans un contexte causal (c’est-à-dire faisant suite à une violence exercée par un tiers  à l’encontre d’un sujet). Puis de l’Antiquité jusqu’au XVIIIè siècle, dans un contexte religieux où le causal a disparu, toute transformation (il n’est toujours pas question de changement de sexe) est considérée comme contraire à la religion car contraire à la loi religieuse de la norme, la norme étant l’hétérosexualité, seule voie possible pour la procréation. Le XVIIIè siècle verra l’hégémonie du religieux supplanté par la médecine laïque qui met au jour l’incommensurabilité de la différence des sexes. La psychiatrie, dans le contexte médical, classe toute conduite s’écartant de la norme, notamment l’homosexualité, dans la catégorie « maladie mentale ». C’est le règne de la grande théorie de la dégénérescence du XIXè siècle. À la naissance de la psychanalyse, le contexte causal reprend sa place – choc fortuit dans la petite enfance, séduction – dans la dynamique de l’homosexualité avec Binet et Freud.

Pour le cadre conceptuel retenu, les outils simples et opérants des théoriciens anglo-saxons de la genralité (R. J. Stoller, C. Crépault) ont fonctionné comme références pour ma propre clinique, puisqu’à l’inverse de Freud, ils supposent une féminité primaire inhérente à tout individu du fait de la proximité des corps de la mère et du bébé, ce qui favorisera la fille dans le développement de sa féminité et mettra le garçon en plus grande difficulté dans l’acquisition de son identité sexuelle.

La deuxième partie rapporte trois cas cliniques qui illustrent le processus de sexuation à l’œuvre chez les trois patients. Le premier cas clinique présenté est celui d’un homme qui se travestit en femme, Lilas/Safir. Le travestisme présentant des analogies avec le transsexualisme sans pour autant s’y confondre. Ainsi, Lilas sait qu’il est un homme même si c’est à son plus grand regret. Il fait une demande personnelle de thérapie du fait d’une souffrance massive dans sa relation avec les autres. Le foyer familial est composé de la mère et de deux hommes, avec lesquels elle aura onze enfants, et dont l’un est le père biologique de Lilas. Au sein de cette constellation familiale règne une grande violence (bagarres au couteau entre les deux hommes attisées par la mère). La mère dort dans la même pièce que les enfants, les hommes étant relégués dans deux chambres adjacentes à cet espace central. Cette figure maternelle représente la force, l’autorité face aux deux hommes dépourvus de virilité psychique.  La DDASS intervient et place les enfants dans des familles d’accueil, ce qui est vécu par Lilas comme un choc traumatique (il se sent arraché à sa mère). Il est placé dans une famille où les parents de substitution, également violents, y ajoutent des violences à caractère sexuel. Il date le début de son travestisme dès l’âge de 4 ans ; il enfilait les manteaux de sa mère et les blouses de la nourrice. Il parvient, à l’aide de rêves, à métaphoriser les violences qu’il a subies et s’approche des maltraitances commises par sa mère. Il évoque la mort d’une sœur avant sa naissance, puis le décès d’un frère, juste après. Il rapporte également un rêve dans lequel il se voit, dans le ventre de sa mère, en très grand danger de mort. Cependant, il n’arrivera jamais à se confronter à cette imago maternelle défaillante et préfèrera quitter l’espace thérapeutique. Les pères n’ont pu être investis en tant que modèles identificatoires. En revanche, il y a eu une identification massive à la mère du fait de sa puissance au sein du foyer. Lilas commente : « Lorsque je m’habille en femme, il se passe quelque chose. En robe, je prends toute mon ampleur. Mon côté féminin s’ouvre, mon dos se remet droit, je gagne en assurance ».

Le deuxième cas clinique rapporte l’histoire de Marina, ex. Eric, transsexuelle homme vers femme. Marina consulte suite à une séparation d’avec son ami très douloureuse. Au sein de la constellation familiale, la fratrie est composée de « 4 filles dont un garçon », le désir de la mère d’avoir une fille qu’elle aurait appelé Marina étant nettement signifié, le message étant lui-même bien reçu. Après le décès du père, la mère se remarie et le beau-père se montre violent, allant jusqu’à des violences à caractère sexuel. Dans cette famille, il y a un nombre important de décès de garçons ou d’hommes (deux fois plus que pour les filles). La mère, à travers un discours récurrent, dévoile sa peur mais aussi sa haine à l’encontre des hommes et imprègne dans l’esprit de Marina que le féminin vaut mieux que le masculin. Marina fera une identification massive à la mère car dans cette famille, il y a danger à être un homme. Elle se soumet à l’injonction non formulée mais néanmoins transmise par sa mère à être fille. Lorsque Marina aura subi son intervention chirurgicale de réassignation de sexe, sa mère lui déclare : « Tu as fait ta B.A. » Dans ce cas, le transsexualisme est bien une défense, c’est-à-dire un assujettissement, soumission à l’injonction de la mère de ne pas rester un garçon.

Enfin, le troisième et dernier cas clinique rapporté est celui de Benjamin, ex. Alex, ex. Sophie, transsexuel femme vers homme non encore opéré. Il consulte sur injonction judiciaire suite à des violences à l’encontre de son ex-amie. Il décrit une ambiance familiale faite de violences extrêmes, tant de la mère que du père, avec des menaces de mort émises par ce dernier. Or, la mère ne s’interpose jamais ni aux menaces, ni aux maltraitances, au contraire, elle les encourage, voire les stimule. Benjamin énonce très vite qu’il déteste sa mère depuis son plus jeune âge. Les souvenirs de la petite enfance nous le montrent fuyant le contact physique avec elle, se réfugiant dans les bras du père. Il a une haine de la mère, de son corps. Son père, qui le frappe au point de le laisser pour mort, trouve néanmoins grâce aux yeux de Benjamin, jusqu’à cette parole fondatrice où le père déclare : « C’est un vrai mec celui-là, ouais… ». Benjamin en éprouve satisfaction, réconfort et il mettra tout en œuvre pour mériter cette appréciation. Ecrasé par l’omniprésence de la violence de son père, Benjamin, par cette parole dont il se saisit, se donne droit à la vie via la masculinité. Des viols commis par des proches dans le noyau familial viendront renforcer le sentiment pour Benjamin qu’être une fille est très dangereux. La psychothérapie s’est déroulée à l’aide de dessins et de jeux de rôles. L’identification à la mère est impossible du fait de la haine qu’elle lui porte que lui-même lui retourne. Benjamin choisit (est-ce vraiment un choix ?) de s’identifier au père en adoptant le genre masculin, soit le genre contraire à son sexe biologique.

Ces anamnèses révèlent la façon dont le bébé, futur transsexuel, acquiert la conscience non réflexive de son identité sexuelle et nous éclaire sur cette conscience commune à tous, transsexuels ou non, de l’appartenance au sexe masculin ou féminin, acquisition toujours sous influence, la première étant celle des parents (ou substituts) dans le jeu des identifications primitives. Cette identité sexuelle participe d’une « manière d’être au monde » singulière, ainsi nommée parce qu’intrinsèquement dénuée de toute appréciation quant à la problématique et conservant à l’« être » transsexuel, son entière humanité. C’est pourquoi elle court tout au long de la thèse où la parole des patients, travestis ou transsexuels, dévoile peu à peu les processus d’acquisition à un âge précoce de l’appartenance à un sexe contraire à celui du genre biologique.

La troisième partie aborde une discussion à partir des cas cliniques présentés et confronte clinique et théorie à l’aide d’autres auteurs. Le travail psychothérapeutique avec les personnes présentées a fait émerger, à travers une nébuleuse de maltraitances, celles qui concernent le sexe de l’enfant qu’ils ont été et qui font traumas, au regard de schémas récurrents repérés dans les anamnèses, même si ces schémas s’inscrivent à chaque fois dans une histoire singulière. Le processus de sexuation dans un sexe opposé au sexe biologique s’y dévoile preuves à l’appui, au travers le récit des anamnèses.

L’hypothèse d’une origine traumatique du transsexualisme au stade du « cocon » est fondée sur un trauma originel, le déni du sexe de l’enfant, orchestré par les parents notamment la mère et qui s’inscrit dans son histoire à partir de la peur, transformée en haine à cette génération, à l’encontre d’un sexe dont est porteur l’enfant, futur transsexuel. Ce qui est exigé de cet enfant est que s’il veut maintenir un lien avec sa mère (c’est-à-dire vivre), c’est à la condition que ne subsiste plus aucune trace de son sexe biologique.

La confrontation avec d’autres auteurs s’est appuyée sur R. J. Stoller qui est le seul à s’être interrogé sur les origines du transsexualisme sans le ranger ni dans la névrose, ni dans la psychose, ni dans la perversion. Un point de désaccord est apparu sur la question des origines. Pour lui, le transsexualisme est la conséquence d’une « symbiose merveilleuse et aconflictuelle » avec la mère parce qu’il a conceptualisé le transsexualisme à partir du point de vue des mères et non de celui des enfants. La relation fusionnelle du tout petit avec la mère installe à un stade très précoce, dans ce qu’il nomme noyau de l’identité de genre, de la féminité primaire, ou protoféminité. La construction de la genralité, ou comment une fille devient féminine et comment un garçon devient masculin, est sous l’influence des rôles de la mère et du père, « les conspirateurs associés ». À l’inverse, la thèse met en avant un trauma suivi d’une défense sous la forme d’un déni du sexe biologique. Une vue d’ensemble sur les anamnèses de tous les sujets rencontrés montre que les transsexuels présentent des troubles du narcissisme (troubles dans l’investissement libidinal du soi, les troubles du narcissisme sont déjà des troubles identitaires) avec des symptômes relevant d’un champ post-traumatique. Les troubles du narcissisme sont transgénérationnels, sur au moins trois générations (parents, grands-parents, arrière-grands-parents, en référence au cas « Marina »). Ce constat ouvre la voie d’une recherche du ou des traumas originels ayant présidé à cette construction et permet d’émettre l’hypothèse sur l’origine du transsexualisme d’un trauma au « stade du cocon », stade précoce où le bébé, en symbiose avec sa mère, doit progressivement s’en séparer pour acquérir sa propre identité. Ce trauma, c’est le déni des parents, de la mère en particulier, de l’enfant, focalisé sur le déni de son sexe, et la demande latente du parent qui l’accompagne que l’enfant soit autre que ce qu’il est. Ce déni provoque une coupure corporelle chez l’enfant d’avec sa réalité anatomique. Il fait « l’expérience d’un sexe contrarié » (C. Chiland). Il est au bord de la mort corporelle. Cette coupure est entérinée psychiquement et à l’origine de la demande d’une coupure dans le réel, mais cette fois, au nom d’une « erreur de la nature ».

Dans le même temps que s’opère l’assujettissement-soumission (J. Butler) se mettent en route les identifications premières. L’enfant futur transsexuel s’identifie (identification à l’agresseur, A. Freud et S. Ferenczi) au parent porteur de cette parole menaçante. Il est essentiel de se soumettre à sa parole, de la reprendre à son compte (de s’assujettir), puis de devenir son propre agresseur, ce qui permet à l’enfant de croire qu’il est l’agresseur et non le parent qui, du même coup, reste un bon parent. À l’âge adulte, le patient a refoulé l’agression primitive et n’a plus besoin de la parole parentale pour dénier sa mâlité ou sa femellité, il reproduit l’agression contre lui-même.

Le transsexualisme a ouvert le champ à de nombreux discours, révélant le caractère hautement polémique de la problématique. C’est dans le champ des hypothèses structurelles que la polémique est manifeste. Certains ont rapporté des traits apparentés à l’organisation perverse, d’autres ont rangé le transsexualisme entre psychose et perversion. Enfin, la classification dans la psychose est essentiellement le fait des tenants de la bisexualité psychique (les Freudiens) et des tenants du phallus symbolique-castration, nommément le courant lacanien. Les propos de ces auteurs, péremptoires et dogmatiques (essentiellement théoriques, s’appuyant sur peu ou pas de clinique), sont peu opérants au regard de ma propre pratique. La notion de « déclin du phallus symbolique » est, pour les Lacaniens, un phénomène qui est à déplorer alors que pour nous, il est une réalité dans nos sociétés contemporaines dont il faut tenir compte. De façon plus nuancée, Alby tire le transsexualisme vers la psychose alors que Chiland et Oppenheimer le tirent vers une pathologie états-limites (entre névrose et psychose), avec des troubles du narcissisme. La thèse laisse délibérément ouverte la question de l’inscription de ce syndrome dans la psychose.

La quatrième partie est consacrée à la thérapie. La relation patient/thérapeute se résume à deux positions possibles pour un thérapeute face à un patient travesti ou transsexuel. La première est le refus de la parole du patient qui consiste à ne le considérer que dans son sexe biologique et lui faire entendre raison, à tout prix. Le questionnement de certains psychiatres et psychanalystes s’attaquant directement au symptôme, est orienté et intrusif, et relève plus du juge d’instruction que d’une réelle relation psychothérapeutique. L’acceptation de la parole du patient, position jugée par certains de « compassionnelle », de « complice », en un mot d’anti-thérapeutique, est pourtant la seule qui permet une entrée en relation. Elle ne se situe ni dans le refus de la parole du patient, ni dans l’adhésion à cette parole. Il s’agit d’écouter dans le sens de prêter son attention à ce que dit le patient et, dans le meilleur des cas, entendre et peut-être comprendre, saisir le sens de ce qui est dit. Les auteurs français montrent une absence notoire d’empathie, portent des jugements qui n’ont pas leur place au sein de l’espace thérapeutique, les faisant déserter du même coup le champ qui est le leur, à savoir la psychanalyse. Ils deviennent ainsi la cible privilégiée des mouvements « trans » et « queer » et font l’objet d’attaques virulentes et violentes, dont la radicalité des propos est une réponse à la leur. Face à ce type de patients, il est recommandé de proposer une prise en charge psychothérapeutique spécifique et soutenante qui laisse se déployer leur discours pour tenter de remonter au trauma originel. Il faut cesser de vouloir les confronter à leur symptôme, ainsi qu’il est souvent pratiqué, de façon à ce qu’ils parviennent à une mise en sens de leur histoire. Cette mise en sens n’est pas synonyme de « normalisation » au sens sociétal mais elle ouvre la voie à un questionnement par le patient sur sa manière d’« être au monde » et place le passage à l’acte (l’intervention chirurgicale sur les organes génitaux) entre parenthèses. Les thérapies révèlent les traumas et mettent au jour l’héritage transgénérationnel du trouble identitaire.

La thèse, dans le rapport des anamnèses, a montré la difficulté à remonter sur ces traumas originels, si précoces qu’ils ont nécessité des défenses extrêmes, jouant comme autant de résistances pour la mise en sens. Il faut cesser de vouloir confronter les transsexuels à leur symptôme ainsi qu’il est souvent pratiqué, approche frontale qui vise à faire admettre par le patient sa réalité anatomique.

La conclusion aborde les changements observés quant aux représentations du masculin et du féminin héritées de la pastorale chrétienne dans un rapport d’opposition hiérarchisée (spirituel/charnel) où le masculin est toujours en position de domination, et dévoilent les problèmes de la modernité. Le « déclin du phallus symbolique » amène un changement dans les règles du jeu de la société. Des traits habituellement réservés aux femmes, revendiqués par les hommes et inversement, émergent et le rapport homme/femme en est bouleversé. La thèse ouvre comme piste de recherche une réflexion sur la féminité qui se situerait du côté de l’« être » (être reconnu, accueilli, porté, parlé) tandis que la masculinité serait du côté du « faire » (agir, individuation au stade précoce), étant entendu qu’il faut « être » avant de « faire » (Winnicott). La thèse est inscrite dans un courant psychosocial actuel et promeut le droit à la multiplicité des identités sexuelles. Elle contribue à sortir les transsexuels de l’anormalité dans laquelle ils sont bien trop souvent enfermés, au profit d’une subjectivation qu’ils pourraient s’approprier.

À partir du constat selon lequel le transsexualisme est une pathologie grave du narcissisme (hypothèse vérifiée par le rapport clinique), transgénérationnelle sur au moins trois générations, la thèse laisse délibérément ouverte la question de l’inscription de ce syndrome quant à une structure précise, psychose ou états limites.

La méthodologie de cette recherche se situe entre clinique et théorie et comporte intrinsèquement une part d’inachevé. Part d’inachevé que révèle l’espace thérapeutique. Ainsi, lorsque le temps thérapeutique s’allonge (meilleure expérience du thérapeute), comme c’est le cas aujourd’hui avec des thérapies en cours (sujets bien insérés socialement), les traumas sont rapportés sous forme de métaphores, voie de l’élaboration : coupure, cisaillement, déchirure, « la mâchoire du requin » (propos d’une de mes patientes). La mise en mots des traumas permet aux patients de s’approcher de la mise en sens de leur histoire, mais ne présume pas de sa suite. Cette suite, je ne pourrai la révéler que si l’alliance thérapeutique se poursuit, de concert, entre moi-même et les patients.

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